Jazz sous les Pommiers Acte II – 9 mai 2015
A l’ombre bienveillante des géants…
Toni Green a tout de la profondeur de ces chanteuses de blues, de jazz ou de soul à qui on ne la fait plus parce qu’elles ont tout connus des affres et des joies de l’existence. Une sensation que reflète son chant et qui lui donne ce feeling indispensable à cette musique.
Impossible lorsqu’elle chante de ne pas penser à Tina Turner ou à Dee Dee Bridgewater… Plutôt pas mal…
Comme le bluesman Luther Allison en son temps, la chanteuse a eu le tort de faire de la soul à une époque où seul le hip hop à la côte. Et comme pour lui, la providence à voulu que son chemin croise celui de notre beau pays.
Cette providence à un nom, celui de Sébastien Danchin, qui a l’idée géniale de vouloir la faire enregistrer avec un groupe de soul/blues français plutôt bien inspiré : Malted Milk.
L’alliance des deux donne quelque chose de très intéressant musicalement, et qui n’a absolument rien à envier aux groupes américains.
D’emblée on a senti que le mélange fonctionnait bien, et ce qui est vraiment captivant, c’est que l’on sent que l’osmose se renforce de mois en mois.
En moins d’un an, cela fait déjà trois fois que j’ai l’occasion de les voir jouer et c’est à chaque fois mieux. Et ce n’est certes pas le concert d’hier soir qui me démentira, le groupe ayant mis le feu à une salle chaude comme la braise et qui n’attendait que ça.
Dans le petit milieu du jazz, on ne présente plus Joe Lovano, ce saxophoniste de 63 ans nourri au biberon par le be bop et le hard bop, qui baigna dès son enfance dans le chaudron du jazz.
Tout au long d’une carrière professionnelle commencée très jeune, il a multiplié les projets, les ambiances et les collaborations. Il est le pont, ou le lien, entre la dernière génération des grands créateurs noirs américains (Rollins, Coltrane, Davis, Sanders, Shepp…) et la génération actuelle.
Sonny Rollins, justement, dont hier soir le saxophone ténor n’était pas que leur seul point commun. Dans le magnifique théâtre de Coutances, c’est sur un thème du « Saxophone Colossus » que Joe Lovano attaque avec une très grande force son propos. La composition même de son orchestre (la prépondérance donnée aux percussions et la présence d’un guitariste) n’est pas sans rappeler celle avec laquelle Rollins jouait dernièrement. Tout autant que la couleur très caribéenne de la soirée. Il va sans dire que pas un instant on ne peut penser à un plagiat quelconque, et la personnalité même de Joe Lovano interdit ce genre de méprise.
En revanche, c’est bien sous l’ombre du géant new yorkais que Lovano a joué magnifiquement hier soir.
Quand Kenny Garrett monte sur scène, le défi est de taille, le public vient par deux fois d’être terrassé. Mais l’homme en a vu d’autres et se soucie peu des modes ou de ce que ses collègues peuvent faire sur scène, ou pas…
Le début du concert est tonitruant et le hard bop qu’il joue avec son bel orchestre est à couper le souffle. Soudain, une autre ombre majeure de la scène noire américaine plane sur l’endroit. Rien moins que celle de John Coltrane. Quand lui, McCoy Tyner et Elvin Jones transformait le jazz en un brasier incandescent dont il ne se remettra jamais. Et ce n’est pas le côté mystique que prendra le concert quelques instants plus tard qui nous éloignera de Coltrane…
Le concert prendra ensuite une tournure plus calme et parfois plus cubaine ou caribéenne mais toujours de très haut niveau, avant que Garrett n’entame son hymne – Happy People – pour la fin et ne fasse lever et chanter un public en liesse.
Pas de rappel, le set est plutôt court, mais vu le niveau on ne peut pas être trop gourmand…
En sommes, grâce à Jazz sous les Pommiers, et sous l’ombre de géants bienveillants, je viens de vivre une journée musicale placée sous le signe de l’excellence comme je n’en avais pas vécu depuis longtemps.
Patrick Guillemin – 10/05/2015