Jazz in Marciac Acte XI – 9 août 2015
La fureur du blues d’Attica résonne encore…
Beaucoup l’ignore sans doute, mais Archie Shepp fait partie des rares créateurs du jazz encore en vie. Avec Albert Ayler, Cecil Taylor et Ornette Coleman il est co-fondateur du dernier grand courant musical jazz au début des années 60, le free jazz. Coupant tous les ponts avec le passé, le free jazz sera la fin programmée du jazz en tant que musique populaire. Il ne se remettra jamais de cette tornade qui était aussi un cri politique dans l’Amérique de la lutte pour les droits civiques et l’égalité entre blancs et noirs aux Etats-Unis.
Loin de se contenter d’être un « simple » musicien, l’homme est aussi un fervent militant de la cause noire américaine, un professeur d’université et un dramaturge.
Je n’ai pas connu la période free d’Archie Shepp, et très sincèrement je n’ai aucun regret. En revanche, j’ai eu la chance de l’entendre jouant du be-bop avant qu’il ne revienne petit à petit vers ses racines culturelles et musicales, le blues et le gospel. La plupart des prestations auxquelles j’ai assisté m’ont toujours laissées d’excellents souvenirs.
En août 1971, George Jackson, militant Black Panther est assassiné par ses gardiens à la prison de Saint Quentin en Californie – Là même où Johnny Cash donna un très célèbre concert – alors qu’il tentait de s’évader. Révoltés, 800 détenus de la prison d’Attica dans l’état de New York se soulèvent et décide de protester contre leurs conditions de détentions. Après de multiples tractations et quatre jours d’émeute, Nelson Rockefeller donne ordre aux militaires venus en renfort de reprendre la prison aux émeutiers. Bilan, 29 prisonniers et 10 gardiens tués (dont 9 par l’armée).
L’affaire attire l’attention des médias et du public sur les conditions de détention et le racisme qui règnent dans les prisons.
Une fois encore, la communauté noire américaine est indignée et Archie Shepp met ce sentiment en musique, mélangeant blues, jazz et soul. Ce sera le disque « Attica Blues », enregistré avec un big band.
Reconstitué bien des années plus tard par son créateur avec une équipe de musicien presque exclusivement français, l’Attica Blues Big Band tourne à nouveau depuis quelques années. Le big band a fait escale hier soir à Jazz in Marciac pour le plus grand plaisir d’un public peu coutumier de ce géant méconnu.
Qu’il s’agisse de blues, de gospel, de soul ou de jazz, de reprise de Duke Ellington (Come Sunday) ou de compositions personnelles, tout est émouvant et joué à la perfection. Un grand bravo au passage, à tous les musiciens français pour leur parfaite immersion dans la musique noire américaine.
Le public est conquis et fera une immense ovation bien méritée à Archie Shepp et l’Attica Blues Big Band avant que ceux-ci ne quittent la scène.
Je terminerai ces quelques lignes en saluant la belle performance d’Emile Parisien et de son compère Vincent Peirani auxquels se sont joint Michel Portal et Joachim Kühn. Leur première partie fut très réussie.
Patrick Guillemin – 10 août 2015