Support : Livre
Auteur (s) : Robert Gordon (traduction : Emilien Bernard)
Type d’ouvrage : Biographie
Nombre de pages : 474
Editeur : Rivages Rouge
L’avis du chroniqueur (*) : Indispensable
Grâce aux éditions Rivages-Rouge, voici enfin la biographie de Muddy Waters que l’on attendait. 474 pages d’une lecture aisée, rédigées par son biographe, Robert Gordon.
Lorsque Robert Gordon se lance sur les traces de Mc Kinley Morganfield, nous sommes au milieu des années 90. Muddy Waters est mort depuis un peu plus de dix ans mais nombre de ses musiciens sont encore en vie. A commencer par le plus illustre d’entre eux, le guitariste Jimmy Rogers. Lui-même, l’harmoniciste Little Walter et Muddy Waters vont être à l’origine d’une vraie révolution musicale et sociale en électrifiant le blues du delta pour nous offrir ce qui restera comme les plus belles plages du Chicago blues, influençant tous les rockers des fifties aux seventies.
Au gré de son récit, Robert Gordon nous fait passer des plantations de coton d’un Mississipi resté quasi esclavagiste, ou Muddy passa son enfance élevé par sa grand-mère Della, à la violence et la pauvreté des ghettos urbains de Chicago, avant de s’envoler pour les scènes européennes où la musique du Manish Boy éveille une jeunesse en mal de sexe et d’aventure.
Petit à petit, on voit défiler une bonne partie des grands noms de la musique du XXème siècle qu’il serait vain de vouloir tous citer. De Charley Patton, Son House où Robert Johnson, ses maîtres, en passant par Willie Dixon, le génial compositeur et contrebassiste ou Howlin’ Wolf, le grand rival qui adoptera une démarche inverse à la sienne face aux frères Chess, au business et à l’analphabétisme qui les a frappé l’un et l’autre. Enfin, quand sa musique s’expatrie outre-Atlantique, Muddy enfante toute une génération de musiciens et de groupes anglais comme les Rolling Stones, Éric Clapton ou Led Zeppelin, qui reconnaissants, réimporteront le blues sur une terre américaine qui l’a oublié depuis quelques temps.
A la lecture de ce livre, on peut se dire que malgré le fait d’être née au cœur de l’un des pires systèmes ségrégationnistes, la gitane n’a pas menti à sa mère lorsqu’elle lui a prédit l’avenir de son fils (Hoochie Coochie Man). Outre son talent d’artiste, son charisme et son irrésistible magnétisme sur la gente féminine, Mud vient au monde au moment où la musique peut enfin s’enregistrer et se diffuser partout. Les bons génies prendront aussi la forme de l’ethnomusicologue Alan Lomax (venu enregistrer Muddy à Stovall Plantation en 1941), du très paternaliste Léonard Chess (Fondateur avec son frère Phil des labels Aristocrat & Chess Records) et enfin de Scott Cameron son dernier producteur et tourneur se chargeant de ses intérêts quand Chess Records sombrera et que les repreneurs tenteront de l’arnaquer financièrement, le privant par contrat de ses droits d’auteur.
Indépendamment de tout cela, il faut bien reconnaître également qu’une des clés de son succès réside dans le fait de vivre dans le pays qui dès la fin du premier conflit mondial devient une telle puissance économique et militaire qu’il exporte marchandises et culture dans le monde entier.
Avec un tel faisceau d’évènements convergents, pas de doute, Mud est bien née sous une bonne étoile.
Seule part d’ombre au tableau, son rapport aux femmes viendra un peu ternir l’image d’un homme par ailleurs plutôt sympathique (Je n’oublierai jamais les larmes de Carey Bell lorsque j’ai voulu évoquer avec lui les moments passés au sein de l’orchestre de Muddy Waters). Le moins que l’on puisse dire c’est que ce grand séducteur était « un peu » macho. En somme, peu de chose diront certains…
A lire absolument pour les amoureux de cette musique auquel il a tant apporté, et ceux, tout aussi nombreux, de ce grand musicien tout autant qu’homme d’exception.
Patrick Guillemin
(*) Barème : Bon – Très bon – Excellent – Indispensable